Un amour « infini » d’un couple extraordinaire

Schermata 2019-02-17 alle 10.43.42

J’ai pu interviewer un personnage de la bourgeoisie parisienne, avec une vie tout à fait extraordinaire. Assis dans le salon de ce fantastique appartement, où les livres servent de papier peint et certains meubles datent du début du 19e siècle, Claude me raconte cette histoire incroyable.

Ce 14 févier 2019, jour de la Saint-Valentin, sera le premier que Claude et Dominique n’auront pas passé ensemble depuis qu’ils se sont rencontrés début février 1957 dans un dîner parisien, à l’époque si formel. Ils ont à peine plus de 20 ans à l’époque et ils ne se sont plus jamais quittés. Ils possèdent tout l’avenir devant eux : Claude, dont le père est un sévère officier, obtiendra l’un des postes de direction du secteur des divertissements à l’ORTF puis à France Télévisions, se spécialisant dans la production de pièces de théâtre pour le petit écran. Dominique, bien qu’originaire d’une des familles possédant de nombreuses vignes en Champagne, aura toujours à cœur de rester financièrement autonome. « C’était un amour absolu. Je n’aurais pas imaginé vivre avec quelqu’un d’autre », explique Claude lors de notre entretien, le 11 février dernier, le premier accordé à la presse depuis la fin tragique de cette vie commune. Dominique, une âme cultivée, élégante, civilisée mais aussi fragile et incroyablement attachante, vite adoptée par la mère de Claude, tout comme Claude l’est, un peu plus tard, par les parents de Dominique.


« On ne s’est pas vus vieillir », ajoute Claude. Les voyages en France (les côtes normandes et celles de la Cote d’Azur avant tout) et à l’étranger (Rome, Zurich, Londres, New-York, l’Andalousie…) se succèdent mais leur grand appartement de Boulogne-Billancourt (92), au panorama spectaculaire depuis l’église de Saint-Cloud jusqu’à la tour Montparnasse, en passant par La Défense et la tour Eiffel, est leur refuge depuis 1971. C’est là que Claude écrit à ses heures perdues, notamment L’effet télévision, un document où il explique que la télévision devrait servir à l’action et au fonctionnement de la démocratie et dénonce le risque de culture uniforme entraîné par la télévision de demain (magnétoscope, télévision interplanétaire, télévision à péage…). Un livre prémonitoire, qui lui vaudra une invitation dans l’émission littéraire de référence, Apostrophes, animée par Bernard Pivot, le 13 juin 1980. C’est aussi dans leur commune de résidence qu’ils se marient en toute simplicité (à l’âge de 81 et 82 ans), le 20 janvier 2014, accompagnés de leur famille et leurs amis les plus proches.


Un bonheur de courte durée, car la maladie de Dominique se déclenche dans la foulée, avec des difficultés grandissantes pour marcher et garder son équilibre. Claude fera tout pour lui faciliter la vie, faisant transformer la douche en baignoire, installant un confortable fauteuil pour que Dominique regarde son émission préférée de, C dans l’air, ou écoute ses chansons favorites de Georges Brassens. Garder la totale maîtrise de son esprit et de ses facultés mentales sera d’ailleurs l’ultime fierté de Dominique, incollable sur la filmographie des plus grands réalisateurs français et américains, ou sur les anecdotes ayant entouré les tournages. Claude s’en veut pourtant de n’en avoir pas fait assez pour sa moitié : « Je me reprocherai toujours de ne pas avoir compris, quand je lui ai dit au revoir à l’hôpital qu’il ne serait plus de ce monde le lendemain matin. J’aurais tant voulu lui tenir la main durant ses derniers instants ».
Le 22 août 2018 parait, à la rubrique nécrologie des quotidiens Le Figaro et Le Monde le sobre avis suivant : « Claude a la très grande tristesse de faire part du décès de son ami, son compagnon et son conjoint. Dominique repose au cimetière de Fère-Champenoise ». Dominique avait 86 ans. Claude nous confie qu’il pense que son mari aurait été fier de sa décision de rédiger ce « coming-out funéraire » dans la presse nationale. « Je sens sa présence à mes côtés, je lui demande conseil sur les décisions à prendre, et je veux voyager dans les endroits où nous avons été heureux ensemble ». D’ailleurs, Claude voit en permanence des signes de la présence du disparu : « Dans la maison de Fère-Champenoise, Dominique, qui adorait les chats, passait des heures à en caresser un, qui m’ignorait. Or, lors de ma dernière visite, ce chat est venu se frotter contre moi… »

Je pense qu’il est important, dans un moment aussi difficile, où les événements terribles sont malheureusement fréquents dans les journaux, de présenter l’histoire d’amour d’un couple durant 61 ans, d’un Amour avec A majuscule. Parce que l’Amour est le choix de la liberté de choisir une personne et de décider de rester avec elle, d’accepter ses erreurs et de participer aux moments de joie, de douleur ou de difficulté. Et c’est précisément dans les moments les plus difficiles que l’on prend plus facilement conscience d’aimer quelqu’un en renonçant à quelque chose en son faveur et pour son bonheur. Voilà pourquoi Amour signifie donner – je ne parle pas de choses matérielles, mais d’attentions. C’est le dévouement à l’autre dans les petites choses de tous les jours.

Comme le dit le journaliste Massimo Gramellini, «si se rencontrer reste une magie, le vrai conte de fée est de ne pas se perdre» et, ici, cela vaut vraiment la peine de le dire!

Ceci est ma petite contribution à ce couple fantastique, digne et d’une grande richesse intérieure, que j’ai eu l’honneur de connaître. Je suis sûr que si Dominique pouvait le lire depuis là-haut, il me dirait en souriant: « Ah, vous les Italiens … ».

Je termine en disant : « L’amour, celui avec le A majuscule, est la force motrice de tout et personne, je répète, personne sur cette terre n’a le droit de juger ou de l’arrêter! »

Dominique (à gauche) et Claude (à droite)

Qu'en penses-tu?